Un précédent article de Daily Disneyland vous décrivait comment la conception du Marvel Avengers Campus faisait toute la différence par rapports aux autres lands de Disneyland Paris (cliquez ici). C’est aussi symboliquement que le Marvel Avengers Campus vient renouveler l’expérience de l’enchantement proposé à Disneyland Paris. La chose n’avait pas pris une telle ampleur depuis le Festival de la Nouvelle Génération en 2010, avec la mise en opposition complémentaire d’un enchantement classique fondé sur les contes de fées et un enchantement fondé sur l’humour, la prise de recul, le second degré.
Quels sont les codes de ce changement promus dans la communication de l’inauguration du nouveau Marvel Avengers Campus ?
Le Marvel Avengers Campus est le résultat d’une intégration progressive des productions Marvel dans l’enceinte de Disneyland Paris, avec la saison des super-héros Marvel en 2018 et l’inauguration du New York Hotel Art of Marvel en 2021. Sur le plan des sensations, les attractions du Marvel Avengers Campus poursuivent le jeu avec les règles du monde physique, comme le montre l’affiche publicitaire de W.E.B. Adventure, inversant le sens du texte et de l’image, comme Ratatouille et Toy Story Playland jouaient déjà sur les proportions. La nouveauté est donc ailleurs.
Digression autour du format de “campus”
Dans son discours d’inauguration, la présidente de Disneyland Paris donne l’objectif narratif du nouveau land : « recruter et former la prochaine génération de superhéros » et y voit une « transformation globale de l’expérience à Disneyland Paris » (cliquez ici).
La forme de centre de formation donnée au land jette les visiteurs dans les coulisses de l’action. On peut y voir un vestige de l’esprit des Walt Disney Studios des premières heures. L’idée était en effet de thématiser le making-of de l’univers cinématographique en s’appuyant sur le mythe hollywoodien, plutôt que de faire vivre des scènes de films aux visiteurs. Cela s’appliquait toutefois plus à la mise en scène des lands qu’aux attractions elles-mêmes.
La forme de Campus et, donc, de terrain entraînement, existe déjà ailleurs sous des formes embryonnaires. Dans les attractions, cette forme didactique justifie la possibilité de répéter l’expérience sans briser la logique de l’immersion. Le feu Rock’n’Roller Coaster reposait sur la narration d’un test technique visant à faire se marier musique et parcours de montagnes russes. Le pre-show de Twilight Zone Tower of Terror raconte comment un phénomène étrange s’est transformé en phénomène touristique mis à disposition du public. Il justifie d’une façon un peu similaire l’utilisation des ascenseurs à un rythme industriel et la répétition possible de l’expérience. Le parc à thème transforme les pratiques du parc à thème en contenu d’un divertissement, au lieu des les cacher, dans une mise en abyme.
Dans ces conditions, le parc à thème renouvelle sa vision de l’immersion en plaçant le cœur de l’action au seuil et dans les recoins de l’aventure, plutôt que dans ses scènes les plus spectaculaires. En effet la Marvel Avengers Campus est montré comme un lieu d’apprentissage, fidèle au principe disneyien de “réassurance” et pas comme le terrain urbain de confrontation où les héros mettent à l’épreuve la qualité de leur entraînement au risque de leur vie.
Rencontre entre Disney et la Pop Culture
Cette mise en abyme révèle la mise en route d’un nouveau cycle dans la construction du mythe industriel des parcs à thème en général. Ce renouvellement est déjà repéré par des chercheurs comme Florian Freitag qui étudie la manière dont les parcs s’auto-thématisent, créent des lands sur eux-mêmes. Dans la tradition Pop culture des comics Marvel, l’Avengers Campus permet d’accentuer ces jeux de miroir. En effet, les histoires de super-héros de l’univers Marvel sont apparues à une époque où émergeait une prise de recul de la société par rapport à elle-même. Cela aurait expliqué, pour Umberto Eco, dans son article « Le mythe de Superman » (1976), la référence à des super-héros aux origines obscures, aux caractères peu développés et révélant la crise et les fantasmes de l’homme moyen embarqué dans la société des médias et de la consommation.
Le ton du lancement de l’Avengers Campus repose donc en partie sur l’utilisation des codes journalistiques et aiguise la curiosité sur la manière dont est présente la société « normale » dans les comics Marvel. La série Wandavision diffusée sur Disney Plus joue amplement sur la parodie des soap opera des premières années glorieuses de la télévision. Elle brouille ainsi les pistes entre la vie des super-héros et l’existence au rythme de l’American way of life du commun des mortels, tel qu’elle a été décrite puis analysée. La firme Disney a d’ailleurs souvent été associée dans les études à l’expansion et aux dérives de cette société. Il est donc tout à fait intéressant de constater comment elle participe à s’en moquer symboliquement en s’ancrant dans la tradition critique de la Pop Culture.
Le petit film de teasing annonçant l’ouverture de l’Avengers Campus, diffusé sur Youtube (cliquez ici), est fondé sur la reprise des codes médiatiques de la breaking news qui impose l’interruption des programmes. La société médiatique est représentée dans les comics à travers les journalistes épris de découvrir la vérité sur les superhéros et finissent par prendre part aux aventures, comme dans le tout récent Doctor Strange. Dans le teasing, ces codes sont repris comme des gages de qualité et des sources de suspense, paradoxalement à ce qu’on pourrait attendre d’un genre informatif.
La communication s’inspire donc de l’esprit des comics dans lesquels la société civile cohabite avec la société mi-secrète, mi-publique, des super-héros. C’est tout le fil rouge du Sneak Preview diffusé en juin sur la chaîne Youtube de Disneyland Paris (cliquez ici), à l’adresse des futures recrues du Campus qui pourront côtoyer les héros sur leur lieu d’exercice et participer à des attractions mettant en scène les « portes ouvertes » de Worldwide Engineering Brigade pour tester de nouvelles créations et le quartier général des Avengers. Ces lieux gardés secrets sont valorisés dans le storytelling publicitaire parce qu’ils sont désormais exceptionnellement accessibles. Le résultat en est un nouveau mythe publicitaire qui fait faire vivre ensemble les héros aux pouvoirs surnaturels et les héros du quotidien. Ce mythe, au sens explicatif du terme et sans sous-entendu négatif, est conforme aux annonces inaugurales de la présidente de Disneyland Paris au sujet de l’invitation des personnels soignants et de publics défavorisés.
Conclusion : les figures héroïques du visiteur
Les visiteurs sont donc mêlées aux héros et à l’héroïsme à quatre niveaux :
- comme spectateurs invisibles d’un campus de super-héros en activité (stade du visiteur d’une zone thématique sans interactions),
- comme futurs héros potentiels (stade 1 de la narration du land),
- comme public curieux d’un campus ouvrant ses portes (stade 2 de la thématisation du land : auto-thématisation du land en lieu touristique),
- comme héros de leur quotidien (stade symbolique et littéraire décrit par Umberto Eco et repris dans la communication institutionnelle de Disneyland Paris au titre de sa responsabilité sociétale).