Tiana’s bayou adventure : le nouveau Splash Mountain va-t-il faire plouf ?

La chaîne Youtube officielle de Disney Parks a publié le 2 juin une vidéo du circuit en caméra embarquée du flambant neuf Tiana’s bayou adventure, qui remplacera Splash Mountain à Walt Disney World à partir du 24 juin. Cet article revient sur les commentaires très majoritairement négatifs postés par les spectateurs à l’égard de la nouvelle mise en scène, même s’ils se sont adoucis depuis que la communauté des fans a pris place à bord de l’attraction. L’objectif est d’ouvrir des pistes de réflexion constructives sur ce type de rénovations qui déchaînent les passions.

De Splash Mountain à Tiana’s bayou adventure

La nouvelle thématisation de Splash Mountain inspirée du classique animé La Princesse et la Grenouille a fait suite à l’accueil de plus en plus nuancé du public à l’égard l’ancienne version. Une partie de l’opinion accusait le parcours de diffuser l’idéalisation de l’esclavage à travers ses références au film Mélodies du sud. Le choix de La Princesse et la Grenouille, qui met sur le devant de la scène une héroïne de couleur à la Nouvelle Orléans, était censé apaiser les tensions.

S’il s’agit d’une réaction aux demandes de la société civile, Disney inscrit cette action dans une politique inclusive générale appliquée à ses contenus et sa gestion des ressources humaines, et dont on pourrait exposer longuement les limites. Fermé le 23 janvier 2023 à Walt Disney World, il n’aura fallu qu’un an et demi, jour pour jour, pour substituer Tiana’s bayou adventure à Splash Mountain. Fermé aussi à Disneyland Resort, la réouverture n’y est pas encore annoncée.

La fermeture de Splash Mountain a été annoncée en juin 2020 dans une période de tensions sociales aux Etats-Unis. La mort de George Floyd a en effet ravivé les problèmes d’intégration et la question du racisme dans le pays. Le mouvement s’est particulièrement incarné dans l’occupation des statues de personnalités historiques impliquées dans l’esclavage. Disney a dû faire face aux répercussions de ces tensions qui ont révélé la complexité de la culture de l’entreprise. En 2021, le baiser non consenti de Blanche Neige à la fin du circuit rénové de Snow White Enchanted Wish a suscité un débat où s’entremêlent éducation, devoir d’exemplarité, progrès social, respect et sens de la culture. En 2022, la chambre représentative de Floride vote en faveur de la loi dite « Don’t say gay » défendue par le gouverneur républicain Ron de Santis. Il faudra plusieurs semaines à Disney pour trouver un positionnement et répondre aux mouvements sociaux de protestation émanant de ses employés et clients, opposés aux financements par Disney de politiques sociétales conservatrices.  Les exemples de pétitions et de réaménagements pourraient être multipliés : imaginaire colonial dans Jungle Cruise, prostitution dans Pirates des Caraïbes.

L’objet de cet article n’est pas d’évaluer la qualité de Tiana’s bayou adventure mais de faire état de ce qui compte pour les spectateurs ayant commenté la vidéo de l’attraction. La vidéo totalise plus de 8000 commentaires à l’heure où ces mots sont écrits. Le compte-rendu sera forcément partiel mais plusieurs axes se dessinent clairement dans les valeurs que les commentateurs investissent dans le visionnage de l’attraction : la question des rapports entre technique et plaisir et la question du récit face à la nostalgie d’un imagineering originel.

Technique et plaisir

D’une histoire ancienne…

Une partie des commentaires sur l’attraction se plaint de l’usage abusif des écrans. Cette pratique n’est pas nouvelle dans les parcs à thème : films dans les pre-shows pour faire patienter et contextualiser le parcours de l’attraction ; projection animée sur des objets qui prennent vie ; films en trois dimensions exploités dans des attractions dites « trackless ». Enfin, les écrans peuvent prolonger les décors et se substituer à des robots ou accessoires fastidieux, comme dans les nouvelles versions de Pirates des Caraïbes. Dans cette configuration, l’immersion résulte d’un équilibre subtil entre robotique, écrans, décors, lumières et mouvements. Théo Esparon (1), chercheur en cinéma, observe des premiers cas au début du XXe siècle avec l’attraction A trip to the moon présentée par Frederic Thompson à l’exposition panaméricaine de Buffalo en 1901.

… à ce qui fait une attraction

L’usage décrié dans Tiana’s bayou adventure relève de cet équilibre rompu : pour les fans déçus, les images animées de lucioles sont répétitives et la séquence de Tiana en gros plan qui observe l’effervescence de la nature est maladroitement intégrée au décor végétal. L’écran serait le symptôme d’une paresse créative dans la mise en scène technique du message au profit d’une idéalisation du pouvoir technologique en soi. La technologie, depuis les origines des parcs d’attractions, n’a jamais émerveillé pour elle-même : Josephine Kane (2) rappelle que les premiers parcs n’utilisaient ni plus ni moins que les techniques de propulsion utilisées dans les industries qui n’avaient rien d’impressionnant pour le citadin. La technologie est aussi un argument fréquent pour regretter l’absence de matérialité spécifique des attractions.  Les parcs fascinent pour leur détournement des techniques.

C’est là qu’on peut dénicher ce qui fait une attraction dans la culture du loisir contemporain : vivre un moment que ne pourrait apporter de manière isolée ni un film, ni une attraction standardisée. ni une technologie. Elle est parfois aussi attachée à un lieu, un paysage d’ensemble.

Récit et esthétique

Les différentes critiques narratives de Tiana’s bayou adventure

Les commentateurs de Tiana’s bayou adventure déplorent en second lieu l’absence de fil narratif conducteur, pourtant détaillé par Disney. Les critiques ne s’attaquent pas toutes au même aspect du récit.

  • Certains déplorent l’argument dont la pauvreté force à multiplier les séquences : trouver les musiciens, trouver l’ingrédient manquant pour la recette de Tiana.
  • Pour d’autres, c’est le registre qui est qualifié de grotesque : hisser l’organisation d’une fête en enjeu dramatique semble incongru et enfantin, pour beaucoup.
  • Le troisième type de critique sur le récit concerne le paradoxe de raconter une histoire originale sur la base d’une production connue. Jouer sur les deux tableaux a manifestement déplu. Plusieurs commentateurs déplorent enfin une thématisation proche de la neutralité qui ferait penser à d’autres parcs plus soucieux de thèmes reconnaissables que de récits originaux : Six Flags est par exemple cité en exemple péjoratif de modèle de parc classique de proximité. D’autres qualifient Tiana’s bayou adventure d’attractions à bûches (« log flume ») pour la déshonorer en l’associant à une catégorie de produits.

Une culture visuelle plus attentive au récit ?

La quête d’un récit inspirant dans les attractions est une préoccupation récente et qui concerne probablement une partie minoritaire des visiteurs. Les historiens des parcs d’attractions mettent plutôt en avant, sur la première moitié du XXe siècle, l’avènement d’une culture visuelle attentive au mouvement panoramique qu’apportent les modes de transport anciens et modernes : gondoles, trains, aéronefs. Les décors ne visaient pas à raconter une histoire mais à accentuer les perspectives offertes par le mouvement. La pratique des « studios tours » conjuguée, plus tard, à l’émergence des parcs Disney, ont pu contribuer à cette nouvelle façon de concevoir les décors. C’est ainsi qu’une commentatrice décrit l’imagineering traditionnel comme une capacité à « sucer la chair des classiques », qui consisterait en un travail d’adaptation d’un récit aux exigences cinétiques et mécaniques des manèges.

Annonce de l’ouverture de Tiana’s bayou adventure sur le site du Magic Kingdom à Walt Disney World

Quel statut culturel et historique donner aux attractions ?

Ces critiques ne sont pas qu’esthétiques. Elles se rapportent aussi à une culture globale de pratique des parcs d’attractions : Disney est disqualifié sur le décalage entre la promesse formulée, l’expérience évaluée et les pratiques de tarification. Les parcs peu thématisés ne sont pas disqualifiés en eux-mêmes : ils répondent à une certaine demande. Il est finalement intéressant de constater comment le commentaire d’une attraction est étayé par des spéculations sur les réalités économiques et sociales de l’entreprise. Là encore, des chercheurs comme Jason Wood (3) observent que la réalité économique des parcs est un des points de tension lorsqu’il s’agit de convertir des attractions en patrimoine industriel à préserver : conserve-t-on les pièces de métal originelles ou la façon dont elles sont disposées ? Conserve-t-on un mécanisme ou une sensation ? Continue-t-on d’embarquer des passagers ou transforme-t-on les manèges en pièces de musée ? Ces axes de questionnement permettraient de poser les bases d’un débat serein sur la rénovation de Splash Mountain en Tiana’s bayou adventure.

(1) ESPARON Théo, L’Attrait de la fête foraine, 2022

(2) KANE Josephine, The Architecture of Pleasure British Amusement Parks 1900–1939, 2013

(3) Wood Jason, The Amusement Park: History, Culture and the Heritage of Pleasure, 2018

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Walt Disney Studios devient Disney Adventure World

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