Titanic : un film culte, trois sorties, trois visions

Le rachat par The Walt Disney Company de la Fox en 2019 a intégré le film Titanic de James Cameron dans le giron de la firme aux grandes oreilles. Temporairement retiré de Disney Plus, le film aux 11 Oscars qui aura coûté pas moins de 200 millions de dollars en est à sa troisième sortie mondiale depuis 1997.

Avec des revenus s’élevant à 1,8 milliard de dollars lors de sa sortie et 350 millions en 2012 en version 3D, on peut espérer que cette nouvelle version remastérisée, 3D, 4K et high rate frame, ne produise pas un score encore divisé par cinq. Toutefois, il demeure étonnant que cette histoire d’amour au cœur de la reconstitution historique du naufrage du célèbre paquebot suscite encore l’investissement de l’industrie cinématographique.

Les re-releases, ou les nouvelles sorties de films ne sont pas rares. Titanic a toutefois connu un processus particulier de mythification, symptôme de la façon dont la jeune industrie cinématographique, 130 ans à peine, s’est rapidement appropriée son histoire pour la mettre en scène et la médiatiser.

1997, 2012, 2023 : le film Titanic est le même mais sa réception a changé. Une brève analyse des bandes annonces qui ont rythmé ces trois sorties majeures permet de voir comment le cadre médiatique invite à une certaine lecture du film.

La bande-annonce des origines (1997) : le film d’action

L’histoire du cinéma est ponctuée de films dispendieux destinés à l’échec. Titanic en fait partie, au même titre que Cléopâtre de Mankiewicz (1963). Comme le décrit Paula Parisi dans son Titanic : l’histoire du film de James Cameron, la production en fut tumultueuse et explosa les prévisions en termes de temps, d’argent, de figurants, d’eau et d’acier.

A la mesure de cette production titanesque, la bande-annonce diffusée en 1997 prépare le spectateur à un film d’action à travers une conjonction de caractéristiques. En deux versions, avec et sans narrateur, la trame présente l’intrigue dans une suite chronologique propice à l’intensification progressive jusqu’au naufrage. Les enjeux sont égrenés au fur et à mesure :

  • L’identité de la vieille dame et son lien au paquebot : était-elle vraiment à bord du Titanic ?
  • Les temps insouciants et les images majestueuses du navire.
  • Les intérêts contraires de l’amour et de l’argent.
  • Le naufrage, avec son lot de combats, de chutes, de destructions.

Ce qui fait la saveur de cette bande-annonce se trouve dans les petites scènes retirées au montage qui participent justement du genre de l’action : les doutes sur l’identité de la vieille dame comme passagère du Titanic, le coup de poing de Jack dans la salle à manger pendant le naufrage. Par l’absence de narrateur externe, l’objectif visé relevait, d’une part, de la présentation du sujet à travers le découpage clair du film et de ses enjeux en deux parties et, d’autre part, du registre tourmenté du film d’action dramatique, plus à même d’atteindre une cible élargie.

Dans le making-of du film, James Cameron avoue avoir voulu insister sur l’horreur de la lutte pour la survie vécue par les passagers piégés et condamnés.

Première sortie 3D (2012) : le film-souvenir

Quatorze ans plus tard, à l’occasion du centenaire du naufrage, Titanic ressort en technologie 3D pour atteindre un score mondial de 300 millions de dollars. Le film était alors déjà un phénomène de culture populaire. Kate Winslet et Leonardo Di Caprio sont devenus des stars, la scène du baiser à la proue du bateau et d’amour dans la voiture a été mille fois parodiée, Céline Dion a intégré la scène internationale grâce à une chanson en laquelle elle a toujours dit ne pas croire au moment de l’enregistrer, la fin du film provoque des polémiques sur sa vraisemblance et les analyses historiques qui se sont multipliées sont la conséquence de l’influence du film sur la perception de la tragédie historique de 1912.

La bande-annonce de 2012 appuie alors sur d’autre cordes sensibles qu’en 1998. La textualité, premier signe d’un recul sur l’image, est présente dès le début du film avec un argument de légitimité : « Le film le plus acclamé de l’histoire ».

Sur le plan du montage, le film commercial fusionne le récit du retour du film avec le récit dans le passé raconté par le film. L’histoire sociale du film et l’intrigue narrée par le film ne font plus qu’un. Ce phénomène est particulièrement éloquent quand la réplique « open your eyes » de la scène la plus célèbre du film sert à annoncer l’intégration de la technologie 3D. Ce phénomène d’ancrage du film dans son succès se confirme par la présence de la chanson-générique interprétée par Céline Dion, My heart will go on et la référence à Avatar.

L’esthétique qui accompagne ce parallèle entre deux histoires combine souvenir et suspense. Le passé et le présent sont connectés par des voix d’outre-tombe et caverneuses, ainsi que le son récurrent de la cloche qui apporte une unité. La cloche joue aussi un rôle dans le suspense, par le caractère fatal qu’elle joue dans la collision du navire avec l’iceberg. L’enchaînement des plans accentue cette tension, alimentée aussi par le son puissant des bruitages et le démarrage de l’acmé de la chanson de Céline Dion au moment de l’acmé du naufrage.

Si la structure chronologique persiste, le choix des scènes s’est adapté aux empreintes laissées par le succès du film. Elle est aussi enrobée d’une esthétique d’un double souvenir, celui du parcours culturel du film et celui raconté par le film.

Deuxième sortie 3D (2023) : le film-légende

Avec presque 31 millions de dollars de revenus après 10 jours à l’affiche, la version 3D en 4K de Titanic, le film confirme son statut de légende déjà proclamé par l’escorte médiatique en 1998.

La bande-annonce de 2023 s’adapte au calendrier culturel en associant l’expérience du film à la fête de la Saint-Valentin. L’ensemble du dispositif participe à la célébration de l’amour entre les deux personnages, tandis que le paquebot et les effets spéciaux n’apparaissent qu’en arrière-plan.

Sur le plan de la structure, la dimension amoureuse du récit est mise en avant par un enchaînement de plans au début de la bande-annonce qui résume les étapes de la relation entre Jack et Rose. La chronologie prend beaucoup moins d’importance que dans les spots antérieurs.

Du côté de la technique, la sélection opérée par la bande-annonce fait la part belle aux gros plans qui concentrent l’attention sur les personnages. La bande sonore choisie est tirée du célèbre face à face à l’issue duquel Rose bondit du canot de sauvetage qui le sépare de Jack. Elle produit une unité de ton et ramasse en elle tout l’esprit du film, se résumant en une rencontre suivie d’une séparation, même lorsque des plans rapides du naufrage sont montrés.

Le film est ainsi mythifié en récit d’un « amour intemporel » (« timeless love ») par l’escorte textuelle. Depuis 25 ans, l’escorte promotionnelle et médiatique explique le succès du film à travers la leçon d’humilité qu’il inspire, à l’instar du mythe de Babel. Les plans d’enchaînant comme autant de flashs contribuent à cette esthétisation du film. Le bref reportage intitulé « Une histoire d’amour intemporelle » publié sur la chaîne de Twentieth Century Fox va dans ce sens, en bâtissant le storytelling de la genèse du film sur l’inspiration de Roméo et Juliette, autre récit devenu un mythe de la culture populaire maintes fois actualisé.

Enfin, le statut de légende est confirmé par l’utilisation des scènes du film qui sont devenues des « êtres culturels » (expression du chercheur Yves Jeanneret), circulant dans le temps et les générations culturelles, pour changer de significations et naviguer de médias en médias : la scène « Je vole, Jack » apparaît dans les premiers plans, les répliques, comme des moralités, sont détachées des scènes. Le film est déstructuré pour se reconstruire en icône.

On peut encore insister sur cette dimension légendaire dans la relation que crée le système énonciatif de la bande-annonce avec le spectateur. Elle multiplie en effet les appels à entrer dans le film, en plaçant dans les trente premières secondes la scène de fin du film où la focalisation interne place le spectateur dans les yeux de Rose, ou en mettant en avant la réplique « Maintenant, ouvre les yeux », avec un accompagnement textuel injonctif qu’on trouve rarement dans la promotion cinématographique.

Conclusion

Il aurait été intéressant de pousser l’analyse jusqu’aux nombreux films qui ont reconstitué le naufrage du Titanic. Déjà, ce bref aperçu des bandes annonces du Titanic de James Cameron en 1997, 2012 et 2023 est un témoignage du parcours culturel de ce film.  Il invite à se souvenir de l’évènement que constituèrent les sept mois durant lesquels Titanic est resté à l’affiche en 1998. Certaines salles imposèrent la réservation ou augmentèrent les tarifs spécifiquement pour ce film. Les documentaires et les reportages sur le Titanic se sont multipliés, les images du film servant d’introduction à l’analyse historique.

Ainsi, le film qui s’appuyait sur un naufrage historique devenu légendaire est lui-même l’objet d’un storytelling et d’une appropriation culturelle qui le font voyager dans le temps. Il est étonnant qu’en 2023, les spectateurs de Titanic se trouvent aussi parmi les jeunes qui n’étaient pas nés en 1998. Pourtant, ils anticipent les mêmes répliques cultes, se lancent des sourires avant les mêmes scènes érotisées, ironisent sur les mêmes aspects mélodramatiques de la mise en scène. Les lieux où se regarde Titanic se confirment comme des terrains d’observation de la circulation, de la modification et de l’entretien des pratiques culturelles populaires.

Share this article
Shareable URL
Prev Post

Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, notre Critique

Article suivant

Empire of Light – Une ode réussie au cinéma

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A suivre
Abonnez-vous à notre newsletter!
Recevez les meilleurs bons plans et les dernières actualités concernant Disneyland Paris sur votre email!