"Il était une fois" : Adventureland et Frontierland, entre Histoire et histoires

Avec la série “Il était une fois”, Disneyland se lance dans le format documentaire dont il n’a jamais été totalement étranger. Depuis Disneyland Show (1954), les programmes explicatifs sont innombrables et permettent d’endiguer la prolifération de vidéos d’amateurs sur les rumeurs, faits cachés, et secrets des parcs. On saura y voir un goût de “C’est pas sorcier”. avec les mêmes introductions à visée comique (traduction des mots Frontier et Nugget, en niant le rapport avec les douanes et les morceaux de poulet), qui exagèrent l’effet de décryptage sur le mode du second degré. D’autres y voient du Stéphane Bern, une autre vedette de la vulgarisation, adepte du détail et des petites anecdotes.

La série “Il était une fois”, une actualisation du programme Disneyland TV Show animé par Walt Disney et qui continue de raconter les liens entre les rêves des projets et leur matérialisation dans les parcs.

Dans les épisodes sur Frontierland et Adventureland, Laurent Cayuela, prenant la place tant convoitée de Walt Disney qui animait lui-même le Disneyland Show sur la chaîne ABC, explique les secrets de la thématisation de ces deux lands. L’intérêt du discours de ces deux vidéos est de révéler le lien ambigu que les parcs Disney construisent entre l’histoire avec un grand H, les classiques littéraires, les histoires des parcs eux-mêmes et les histoires des studios Disney.

JUSTIFICATION


Les épisodes de “Il était une fois”, c’était évident pour ceux décrivant Backlot aux Walt Disney Studios, s’inscrivent dans un cadre de justification. Le format de décryptage des détails insiste sur la qualité du travail des équipes créatives. Il semble qu’il y a du sens dans tout, à Disneyland Paris, au-delà de la fonction utile des équipements. Cette façon de faire des musées avec des espaces commerciaux a été appelée “culturalisation” par la chercheuse Caroline Marty. La série “Il était une fois” y fait échos à plusieurs égards.

Disneyodendronsimperflorentgrandis, l’arbre abritant la Cabane des Robinson, est baptisé d’un nom pseudo-scientifique par les Imagineers, à la manière des médecins de Molière jargonnant en latin. Ce nom, mélangeant grec et latin et rappelant une célèbre chanson de Mary Poppins, est à prendre au second degré. Il s’agit d’une marque d’ironie des créateurs envers la culture dite “haute” et leur propre production qu’ils savent artificielle : l’objectif est à la fois esthétique et pratique (faire beau et solide !) afin d’accueillir du public.

La définition par Laurent Cayuela de l’expérience d’Adventureland comme un voyage sans passeport rappelle la tradition des cabinets de curiosité. Ces cabinets, sortes de musées privés, se sont développés dès les grandes découvertes de la Renaissance au XVIè siècle jusqu’au XIXème siècle où les expéditions colonisatrices se sont poursuivies. En montrant dans le cas de Frontierland l’évolution architecturale de différents moments de la conquête de l’ouest qui ne laisse rien au hasard, la vidéo valorise la valeur pédagogique, mémorielle, voire patrimoniale du land. Les gros plans sur des wagonnets, fausse pépite d’or, machines à vapeur et autres objets, participent aussi à cette muséification.

TOTALITÉ


Selon la vidéo, Adventureland, à l’instar des cabinets de curiosité des siècles derniers, renferme dans un lieu clos la diversité du monde, sans la contrainte du déplacement.

Laurent Cayuela rappelle que l’exotisme est un goût, un rêve de l’ailleurs plus qu’une réalité. L’exotisme est défini comme un mélange d’histoires fictives et réelles. Le cas de l’entrée d’Adventureland illustre cette définition donnée par la vidéo. Le bazar est une synthèse de tous les genres :

  • Inspiration littéraire des Mille et une nuits qui est un texte aux origines complexes, écrites et orales.
  • Inspiration cinématographique avec les films Aladdin des studios Disney.
  • inspiration architecturale, avec l’imitation du pavillon marocain d’EPCOT, lui-même une réinvention fantasmée de l’architecture arabe.
Laurent Cayuela précise le lien d’inspiration unissant le Temple du Rivage dans l’actuelle Inde (VIIIè siècle) et le Temple du Péril de l’attraction de Dinseyland Paris.

Frontierland, en France, épouse le même concept de mélange en favorisant la culture européenne issue des fantasmes sur la conquête de l’ouest (Zorro, Davy Crockett et tous les westerns), mélangée à des créations originales du parc (géographie historique et pépite d’or de Thunder Mesa), et à des épisodes de l’histoire américaine. Quand Adventureland condense l’espace (Caraïbes, Mers du Sud, Orient, Afrique, Jungle, etc.), Frontierland condense une époque en révélant les différentes étapes de son évolution.

Ces mixages visent à justifier l’intégration d’Adventureland et de Frontierland dans un domaine plus large que la simple culture des studios Disney, où les différents niveaux s’alimentent entre eux. La vidéo n’emprunte pas la piste glissante de possibles déformations : Laurent Cayuela prend soin d’éviter le sujet sensible de la lecture de l’histoire par une marque de divertissement (voir la polémique actuelle sur le Puy du Fou à Tolède).

HISTOIRES


Le sous-titre de l’épisode sur Frontierland, “Entre légendes et réalité”, appelle à s’arrêter sur la relation que la vidéo établit entre ces deux termes. L’effet de réel, décrit par Rolland Barthes en littérature, est produit par un détail, sans utilité dans l’histoire, qui agit comme un point d’accroche suscitant l’identification à un univers connu et reconnu.

En s’associant de cette manière aux différents niveaux de culture (histoire savante, studios Disney, créations originales), les parcs produisent des univers avec des effets de réel qui nous semblent familiers et qui pourtant n’ont jamais existé. Le documentaire d’Arnaud de Paillères sur Disneyland, “Mon vieux pays natal“, diffusé sur Arte, reprend cette idée. Un vieux livre sur les parcs à thème, “Des mondes inventés” (Eyssartel et Rochette, 1992), associe la thématisation des parcs au phénomène psychanalytique de condensation, capable de synthétiser des formes entre elles, comme dans les rêves. L’originalité de Disney est d’y intégrer plusieurs registres de récits, de telle sorte que les musées s’empressent d’imiter les parcs, alors que les parcs commencent à imiter les musées !

Conclusion : des lands qui s’auto-thématisent


La chercheuse Diane Scott a publié au printemps un livre sur les ruines. Elle y parle notamment de la pratique du reboot, consistant à faire renaître une saga déjà terminée, un peu différent du sequel (suite classique), du prequel (ajout d’une suite qui raconte en fait le début) et du remake. Cela permet de transformer une saga en nouveau mythe à modeler à l’infini. Quand Laurent Cayuela parle de “redécouvrir Thunder Mesa” à l’occasion de la réouverture de Pantom Manor, il associe Frontierland à ce format de renaissance.

Les back stories de Disneyland n’échappent pas au besoin de se relancer, ce qui leur permet à leur tour d’obtenir par cet “événement” une base historique ancienne et de devenir une légende patinée, apparemment lointaine, indispensable pour construire encore de nouvelles histoires à leur sujet. Cela ajoute ainsi un niveau supplémentaire à ceux déjà vus dans cet article !

Et la chaîne Youtube de Disneyland Paris s’en nourrit déjà. Au tout début du documentaire sur la réouverture de Phantom Manor, l’imagineer Tom Fitzerald parle du rôle émotionnel qu’a eu la Haunted Mansion de Disneyland Resort dans sa réhabilitation de Phantom Manor, avec la même émotion que Walt Disney parlait de Marceline s’agissant de Main Street.

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