Frontières spatiales et temporelles : "Il était une fois"

La chaîne Disneyland Paris s’enrichit depuis plusieurs mois d’une série de mini-documentaires sur les identités spatiales clés de Disneyland Paris présentés par Laurent Cayuela, écrivain-concepteur. Ces vidéos ré-affirment d’une part les frontières au sein des parcs : les espaces sont divisés en lands thématiques autonomes, comme l’a encore rappelé la cérémonie d’ouverture du 25ème anniversaire où chaque land, comme lors de l’inauguration en 1992, a droit à une chorégraphie et une histoire propres. D’autre part, ces vidéos nous plongent dans les frontières temporelles de Disneyland Paris : « Il était une fois » nous ramène à l’univers des contes, dans un passé lointain et indéterminé qui n’est pas sans ambiguïtés dans l’identité et les évolutions de Disneyland Paris.

Des espaces autonomes aux frontières fermées

– La série « Il était une fois » commence par définir les lieux par une formule : le château est le lieu des superlatifs, symbole de tout Disneyland Paris et de la magie ; Main-Street est la rue de la nostalgie ; Discoveryland est une galaxie « pas si lointaine » ; le Hollywood Tower est lié à la menace d’une superstition ou malédiction ; Studio 1 incarne la frontière entre coulisse et scène et Backlot est l’espace de la deuxième équipe. Ce travail d’identification par des formules associe d’emblée un lieu à une signification et à des histoires autonomes. La volonté esthétique est de multiplier les récits, de limiter les plans panoramiques pour conserver chaque land dans ses frontières, de favoriser les gros plans. Le seul panorama est dans la vidéo sur Discoveryland et intervient dans une partie du discours sur les visionnaires et la technologie, de manière à impressionner. A partir de ce parti pris visuel, la série « Il était une fois » s’attache à l’espace comme un récit à décrypter et s’inscrit donc la tradition des analyses des parcs du point de vue d’une histoire imposée, ce qui est analysé dans le livre intéressant de Thibault Clément (Plus vrais que nature : les parcs Disney). Les espaces de Disneyland Paris sont donc clos, leur expérience spatiale est encadrée par un cheminement temporel. Je ne vous apprends rien, mais il est intéressant que les vidéos reposent sur cette tradition alors que les recherches et la campagne « Cap ou pas Cap » tendent à mettre en avant l’appropriation ou la déformation par les visiteurs de ces récits. [caption id="attachment_19698" align="aligncenter" width="642"] Un des seuls panoramas de la série intervient dans l’épisode sur Discoveryland: manière de montrer que Dinseyland Paris est une oeuvre (ou ouvrage?) visionnaire en soi[/caption] – Dans la question de l’espace, Disneyland Paris insiste sur ses inspirations et son héritage. Alan Bryman rappelle avec humour dans The Disneyization of Society que la Walt Disney Company sait s’approprier des biens culturels de tous les pays mais serait beaucoup moins sympathique sur l’utilisation par les autres des biens culturels qu’elle produit à travers une défense acharnée de son copyright! Dans la vidéo sur le château, les inspirations européennes sont mises en avant : le Mont-Saint-Michel, les châteaux de la Loire, la Sainte-Chapelle, etc. S’y ajoutent des références bien disneyiennes comme les arbres cubiques ou les couleurs des tours et des toits. Ce syncrétisme spécifique à Disneyland Paris depuis sa création en 1992 persiste donc 25 ans plus tard dans les discours et sert d’argument d’autorité de légitimation et de gage de qualité. – Le troisième point sur les frontières de l’espace est la conception des coulisses dont l’ambiance recréée pour le public à Backlot et Studio 1 transforme un endroit technique et fonctionnel en lieu d’enchantement : le visiteur peut passer du décor aux coulisses qui sont en fait aussi des décors. Les coulisses ne viennent donc pas briser le rêve et, au contraire, l’intensifie, car le mystère y reste entier : les visiteurs ne se déplacent que dans une métaphore de coulisse. Parler de décor, de formes et de techniques dans chaque fin de vidéo, c’est assumer les lieux du parc décrits comme des lieux de spectacle, c’est assumer le faux et le construit. Disneyland Paris invite donc ses visiteurs à se laisser aller aux récits proposés et aux détails qui ajoutent de la qualité, et récusent donc la volonté de manipulation que de nombreux intellectuels ont souligné jadis sur l’idéologie de Disneyland Resort (Umberto Eco, Louis Marin, etc.). La position des vidéos rejoint dans ce sens celle de l’anthropologue Yves Winkin qui étudie la sociologie de l’imaginaire. – Enfin, concernant l’espace, Disneyland Paris construit le regard. A travers les secrets et les petites révélations à la fin des vidéos, il s’agit de créer des choses à voir, et d’expliquer des références, des clins d’œil dont la reconnaissance nécessitent une connaissance. Disneyland Paris peut ainsi reprendre en main la maîtrise des discours qui circulent sur les back stories qui inondent les chaînes Youtube de fans. Cet apport de connaissances permet aussi de revaloriser des lieux critiqués en les enrobant de magie. Ainsi, Laurent Cayuela explique le minimalisme des décors de Backlot est travaillé sur le plan conceptuel, ce qui génère des commentaires ironiques sur la vidéo : « c’est l’endroit qui va dégager, aussi », « esthétisme réduit au minimum, c’est clair », « probably the weakest area ». On se retrouve dans un cas de figure où l’idée ne rejoint pas le public. Susan Ingram a écrit un article sur l’échec de la première version du parc California Adventure à Anaheim et découvre que tous les thèmes ne sont pas vendeurs et susceptibles d’enchanter. Backlot est peut-être donc le lieu thématisé le plus expérimental et le plus intellectualisé…donc le moins intuitif : la conception intelligente de Studio 1 a attiré deux fois moins de spectateurs sur Youtube que les autres épisodes de la série « Il était une fois ». [caption id="attachment_19697" align="aligncenter" width="641"] Backlot incarne l’extrême limite intellectuelle de la démarche de thématisation, puisque la zone reproduit le non-rêve et le banal, ce qui a tendance à passer pour une négligence.[/caption]

Un certain rapport au temps : frontières interrogées entre passé, présent et futur

– La série « Il était une fois » résume discrètement les enjeux de Disneyland Paris en lien avec l’espace, mais instaure aussi un rapport avec le temps. Disneyland Paris se trouve à une période de renouvellement, surtout aux Walt Disney Studios que va investir la licence Marvel et où progressent les références à Star Wars. Il est aussi intéressant que la vidéo sur Discoveryland ne mentionne que Star Tours et Hyperspace Mountain, deux attractions rénovées sur le thème de la licence Star Wars. Les autres visionnaires de toutes les époques, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, rapidement mentionnés au début, sont vite rangés au placard, et cela signale bien l’ambiguïté de ce land qui se cherche une identité. Cet épisode introduit un paradoxe qui interroge la frontière entre passé et futur qu’on pourrait formuler ainsi: « Il était une fois bientôt à Disneyland Paris », en voulant dire que l’âme du land survivrait aux épreuves du temps et des rénovations…dans la parole, en tout cas. Les débats sur les transformations des parcs prennent donc de l’ampleur sur internet en distinguant les défenseurs d’attractions originales hostiles à des licences qui tomberaient comme des cheveux sur la soupe, associés plus ou moins bien à un thème général sans accroche narrative, et les ouverts perplexes qui ne sont pas contre des transformations d’attractions si elles impliquent en profondeur des modifications de décors et une réflexion sur une histoire de fond (pas juste un panneau Hyperspace sur un édifice inspiré des utopies scientifiques du XIXè siècle, procédé qui assimile le développement du parc à celui d’une ville et non d’un espace thématisé). – La formule cheville « Il était une fois » qui donne son nom à la série annonce donc une double profondeur temporelle. Les parcs Disney ont la bizarrerie d’ouvrir leurs portes en portant déjà un lourd passé : en 1992, Euro Disney était le produit d’une longue conception, d’un héritage venu de trois autres destinations similaires dans le monde et de décors semblaient avoir toujours existé ou s’inspiraient avec nostalgie de lieux existants. Le lieu était donc déjà chargé du passé le 12 avril 1992, et l’épisode « Il était une fois » sur Main Street USA en est un exemple, puisque Laurent Cayuela rappelle qu’il s’agit d’une représentation matérialisée d’une vision nostalgique provoquée par les images d’un souvenir d’une ville réelle (ouf…). C’est que Svetlana Boym appelle la nostalgie « restaurative », en opposition à la nostalgie « réflexive ». La deuxième profondeur temporelle est acquise avec le temps, en même temps que la légitimité durement acquise de Disneyland Paris qui a consacré une playlist Youtube de vidéos présentant son héritage et son histoire. Or, c’est le conflit de ces deux profondeurs temporelles qui fait aujourd’hui débat jusqu’à nous plonger dans des réflexions abyssales sur le passé qui représente le passé, le futur qui représente le passé, le passé qui représente le futur, et on pourrait faire des chaînes sans fin révélant la complexité du rapport des parcs Disney à la question du temps et à la rénovation. – Un dernier aspect du temps dans la série « Il était une fois » est la manière même dont les épisodes racontent les lieux et deviennent donc des doubles et des modèles pour l’expérience elle-même. Les épisodes sont tous construits sur le même schéma : description du principe ou du récit du lieu, la description du cadre extérieur et, si possible, du cadre intérieur, environnement marchand (boutiques et restaurants) et un ou deux secrets cachés. Le cheminement va donc du général au particulier, de l’idée à son application dans un moindre détail qui donne finalement toute son importance à l’idée. Le plus marquant d’entre eux est la mention des escargots dorés en haut du château et le dragon au fond de sa tanière dans les ténèbres. Ce détail qui semble innocent est en fait une référence à la base de la structure mythique de tous les contes qui animent Fantasyland : il s’agit toujours d’un combat entre les lumières et les ténèbres, le jour et la nuit (selon Jung, le philosophe de l’imaginaire).

Une cascade de lectures possibles

Je me suis demandé quel plaisir on pouvait tirer de ces courtes vidéos : reconnaître ce qu’on sait déjà en se sentant flatté de déjà tout savoir (et même d’en savoir plus !), voir de belles images (majorité des commentaires des spectateurs !), plaisir de découvrir, peut-être déclenchement de l’envie d’acheter un billet, et bien sûr transformer le rêve du créateur en notre propre rêve. Ces vidéos ont comme objectif de nous permettre de nous approprier Disneyland Paris et de le vivre sur différents plans : c’est la théorie répandue de la réception romanesque applicable aux visites de Disneyland Paris, et selon laquelle il existe plusieurs niveaux de lecture d’un roman : la lecture utilitaire du plaisir, la lecture vagabonde de la découverte, la lecture critique de réflexion, ces niveaux n’étant bien sûr pas séparés et s’alimentant les uns avec les autres en même temps. [caption id="attachment_19699" align="aligncenter" width="278"] L’approche “lecture” est au coeur de la série “Il était une fois”, un peu comme ces livres géants qui servaient de socles aux chars dans la Disney’s Once Upon a Dream Parade. Approche dépassée ?[/caption]]]>

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